Passionné parmi les passionnés, Didier Roustan est l’adepte d’un football d’émotion et de ferveur, qui éleva autrefois ce sport au rang d’art. Si le journaliste, décrit comme « la voix du football » de L’Equipe 21, a pour habitude de livrer ses analyses sur son blog RoustanTV, il a accepté d’accorder à la rédaction de Foot-sur7 un entretien des plus captivants sur l’actualité du football français.
Foot-sur7 : Didier, vous revenez souvent, dans vos différentes interventions, sur l’importance de la passion et de la ferveur dans le football. Êtes-vous de ceux qui pensent que l’absence totale de ces ingrédients puisse sérieusement porter préjudice aux hautes ambitions monégasques ?
D.Roustan : Non, je ne pense pas. Monaco est un club que je connais très bien. Je suis de Cannes, donc quand j’étais gosse, j’allais les voir jouer. Le fait que ça ne soit ni San Siro, ni Old Trafford, mais qu’il y ait 3 000, 6 000 ou 7 000 personnes, c’est vrai que ça gâche un peu, mais bon, c’est comme ça. On est habitués à ça, ça ne les a pas empêchés de gagner des titres, de proposer du beau jeu, comme à l’époque des « Jeannot » Petit, Moizan, Raoul Noguès, etc… C’est aussi la preuve que dans le football, l’environnement est important, bien-sûr, mais si on se focalise sur le jeu, on peut y trouver beaucoup de choses. Mais de toutes manières ça ne changera pas, c’est Monaco, ils ne seront jamais 50 000, ils n’ont pas le stade qui les contient, et… c’est comme ça !
Foot-sur7 : Au-delà de cet aspect, James qui quitte Monaco, Falcao qui n’a jamais semblé être le plus épanoui des monégasques, et les grands joueurs qui sont loin de se précipiter pour rejoindre le Rocher; y a-t-il, à vos yeux, quelque-chose qui cloche dans le projet monégasque ? Est-ce que le projet est vraiment lisible ?
D.Roustan : C’est vrai qu’on ne connaît pas trop le propriétaire, tous ces gens là, les oligarques, etc… Les gens peuvent se méfier, parce qu’ils débarquent comme ça de la planète Mars. Ce n’est pas comme à l’époque, où on savait que le prince Rainier, et le fils ensuite, ont fait le club, il y avait une affection particulière, et il y avait une certaine garantie quoi. La deuxième chose, c’est que Monaco n’est pas un club connu à l’étranger puisqu’ils ne font pas de Coupe d’Europe depuis la nuit des temps. Certes, ils ont fait une finale contre Porto il y a quelques années, mais ça date un peu. La dernière chose, ce n’est pas forcément le stade, ou l’environnement de Monaco qui sont en cause, mais c’est la Ligue 1. Pour les grands joueurs, la L1, qu’ils soient sud-américains ou européens, elle n’a aucune visibilité. Alors maintenant, avec Paris, Ibrahimovic, et tout, ok ! Mais à la rigueur, le gars qui suit un peu le foot connaît mieux le 15ème de Premier League que Bordeaux, par exemple. Je pense que tout ça mis bout à bout, le joueur préfère aller en Angleterre ou en Liga.
« Ce qui manquait à l’OM, c’était plus une question de professionnalisme »
Foot-sur7 : Marcelo Bielsa est arrivé à Marseille avec une étiquette d’homme à poigne, au point que ses qualités de meneur d’hommes ont plus souvent été mises en avant que son palmarès. Est-ce que c’est ça qui fait la différence pour entraîner l’OM aujourd’hui, la poigne du coach ?
D.Roustan : Bon, au-delà de la poigne, il a aussi des réseaux, des résultats, un certain système de jeu. C’est un mec qui a été champion à deux reprises avec des moyens modestes avec les Newells et Vélez, dans un grand pays de football comme l’Argentine, donc il a beaucoup de choses. Mais ce qui manquait à l’OM, c’est pas une question de poigne, je parlerai plus de professionnalisme. Parce qu’on sentait que c’était un peu improvisé, bon c’était pas combine et compagnie mais enfin… voilà quoi ! Donc ce professionnalisme, Bielsa est sensé l’apporter. Et puis ça me fatigue moi, cette volonté de toujours se surprotéger chez les entraîneurs français, donc je trouve ça bien moi, qu’il y ait des entraîneurs étrangers qui amènent des choses. Si on veut se sortir de ce marasme de football archi-physique, archi-défensif, où les mecs font toujours semblant d’avoir mal, où les matches sont hachés, où ça défend à huit derrière et qu’on ne pense pas à la technique et tout… A mon avis, il n’y a que des techniciens étrangers qui peuvent nous sauver de ça ! Les autres, ils sont dans un moule, quoi qu’on en dise, ils ont peur de leur ombre, ils ont peur d’avoir deux défaites d’affilée, ils ont peur de sauter, n’arrivent pas à maîtriser les joueurs, etc… même si c’est compliqué pour eux. Je ne mets pas en doute leurs compétences, mais ils sont pris dans un système qui tire le championnat vers le bas, au niveau de la qualité.
« Valbuena ? Il faut se demander pourquoi aucun grand club n’a mis 15M€ sur la table pour lui ? »
Foot-sur7 : Toujours sur l’OM, la rumeur envoyant Valbuena au Dynamo Moscou a pris un peu plus de consistance ce matin, avant d’être démentie par son agent. Si une telle piste venait à se confirmer, n’y avait-il vraiment pas mieux pour Mathieu Valbuena ?
D.Roustan : Mais ça, c’est très français, parce qu’on doit quand-même se poser la question : Pourquoi Valbuena, qui réalise quand-même de bons matches avec l’équipe de France, et qui a fait une bonne Coupe du monde n’a vu aucun grand club mettre 15M€ sur la table pour lui ? Alors des fois, la raison peut ne pas être que sportive, ça peut être lié à son agent, ses réseaux, etc… Mais maintenant, Bernès, il a quand-même pignon sur rue. Donc si il y a ça, c’est que les mecs ils ont peut-être étudié le truc, et qu’ils estiment qu’il ne les vaut pas. Alors déjà, il est toujours par terre Valbuena ! Alors, un entraîneur espagnol ou anglais, où les championnats sont durs, s’il visionne des matches de Valbuena et qu’il le voit tout le temps par terre, ça lui cause un tort considérable. C’est qu’en France, à cause d’un certain journalisme du foot, on pense que Valbuena est exceptionnel, on pense qu’au terme de son Mondial, il va aller au Real Madrid, et bien non : c’est le petit (James) Rodriguez qui va aller au Real Madrid ! Valbuena, ça fait huit ans qu’il est à Marseille, et même après une belle Coupe du monde, c’est le Dynamo Moscou quoi… Il faut se poser des questions, car c’est un bon joueur que je ne veux pas enfoncer. Il y a des gens qui sont étonnés, moi je le suis moins.
« Il faut être con pour prendre David Luiz à 50M€ ! »
Foot-sur7 : Pour en terminer avec le sujet des transferts, à quoi est-on en train d’assister avec Ángel Di María ? Ce flottement, voire ce blocage, est-il du seul fait du fair-play financier ?
D.Roustan : J’avoue que les trucs du fair-play financier, même si j’ai suivi de loin, ça m’échappe un peu, je pense pas qu’on puisse le contourner comme ça. Mais déjà, il faut être con pour prendre David Luiz 50M€, mais après, c’est leur fric quoi. Il va jouer milieu de terrain, défenseur, mettre des taquets, se prendre un rouge tous les trois matches de L1 parce que les arbitres vont pas comprendre, etc… Mais pour Di María, est-ce que pour lui le championnat anglais n’est pas plus excitant ? Peut-être qu’il parle avec d’autres argentins du PSG, et qu’il est au courant du manque de passion en France. Il est passé par le Benfica, le Real Madrid, où la passion ne se limite pas qu’au club, mais aussi aux médias, etc… Je ne sais pas, peut-être qu’il est sceptique vis-à-vis de la France. Cela dit, ils sont bien cons, parce que si c’est vraiment le fair-play financier qui bloque, il aurait mieux valu garder Alex, ou recruter Di María au lieu de David Luiz en fait.
Entretien réalisé par Hakim Maludi
Rédacteur en chef de Foot-sur7
Blog de Didier Roustan : RoustanTV (Le Football Libre)